jean-louis sagot-duvauroux. paris

MALI KOURA
Chronique quotidienne sur la situation au Mali:




MALI KOURA 11 – LE TEMPS DE LA GRANDEUR




En ces temps de confusion, de meurtre, de viols, de rapine, de bassesse, de soumission au plus fort, de fuite devant la raison, devant la fidélité, devant la dyatiguiya, de fuite devant l’ennemi, je dédie au Mali koura cette traduction de la charte du Manden, que j’ai tenté à partir d’une parole de chasseur recueillie par Youssouf Tata Cissé. J’ai essayé de rendre en français la puissante noblesse du texte original. Je ne sais pas si j’y suis parvenu, mais quand je relis ce texte, chacune des nouvelles si désolantes qui tombent d’heure en heure me remplit de nostalgie. Désintéressement, sens de la communauté, amour de la liberté, respect, pondération de la pensée et de la parole… Mali koura, observe la majesté du style, la hauteur de la pensée, la clarté de la perspective, la bienfaisance du propos. Puise-là ton inspiration. Les aboiements qui aujourd’hui remplacent l’élaboration commune des lois, si tu les entends autour de toi, fais-les taire. Si tu les sens naître dans ton âme, fais-les taire.


LA CHARTE DU MANDEN


Le Manden a été fondé sur la concorde et l’amour, 
Sur la liberté et la dignité, 
Sur l’entente fraternelle :
Il n’y a plus de préférence de race au Manden.
Sous notre lutte, il y avait ces buts là.
Aussi, les fils de Sanènè et Kontron donnent à l’adresse des douze parties du monde et au nom du Manden tout entier cette proclamation.


Nous disons :
Toute vie est une vie
Une vie voit le jour avant une autre, c’est vrai,
Pourtant, nulle vie n’a le droit d’aînesse sur une autre vie,
Nulle vie ne vaut mieux qu’une autre vie.


Nous disons :
Toute vie est une vie
On ne porte pas tort à une vie sans en payer le prix.
Aussi, que nul ne s’en prenne à son voisin sans raison,
Que nul ne porte tort à son prochain,
Que nul ne meurtrisse son prochain.


Nous disons :
Tous, veillez sur votre prochain
Tous, vénérez ceux qui vous ont engendrés,
Tous, éduquez au bien vos enfants,
Et que chacun protège les siens.


Nous disons
Tous, veillez sur la patrie,
Si tu entends le mot patrie, le mot pays,
Sache qu’il s’agit des humains qui les peuplent.
Car si l’humain disparaissait de toute l’étendue du pays,
Le pays, son sol même, tomberaient dans la nostalgie. 


Nous disons :
La faim est mauvaise,
La servitude est mauvaise.
Il n’y a pas pire que la faim et la servitude, 
Ici, dans ce monde, notre maison.
Tant que nos mains tiennent l’arc et le carquois,
Même si la sécheresse se fait sur nos cultures,
La faim ne tuera plus personne au Manden.
La guerre ne brisera plus les cités du Manden,
Pour en tirer des captifs.
Le mors n’entrera plus dans la bouche des humains,
Pour qu’ils soient mis en vente.
Personne ne sera plus battu,
A plus forte raison mis à mort
Pour le simple fait qu’il est fils d’esclave.


Nous disons :
Aujourd’hui, l’âme de la servitude est éteinte
D’un mur à l’autre du Manden.
Aujourd’hui sont bannis le pillage et la destruction,
Aujourd’hui, ces tourments cessent.
La faim est mauvaise,
Car l’affamé perd le respect de soi.
La misère est mauvaise,
Car le misérable perd son rang.
Nulle estime pour l’esclave,
En nul endroit du monde.


Ceux d’autrefois disent :
L’humain dans toute sa complexion,
Ses os et sa chair,
Sa moelle et ses nerfs,
Sa peau et ses poils,
Tout cela vit d’aliments et de boissons.
Mais ce dont vit son âme est trois :
Voir qui il veut voir,
Dire ce qu’il veut dire 
Et faire ce qu’il veut faire.
Si l’un des trois manque à l’âme,
L’âme souffre,
L’âme dépérit.
Aussi, nous disons : Que chacun dispose de soi-même,
Dans le respect des interdits sacrés de la patrie,
Et que chacun soit maître de ses biens.


Tel est le serment du Manden,
A l’adresse du monde tout entier.






MALI KOURA 9 – LE CAPITAINE ET LA COQUILLE VIDE

Le 21 mars, il y a tout juste un mois, le capitaine ne savait pas que le lendemain, il se retrouverait au pouvoir. L’appétit lui est vite venu et le retour à la vie militaire normale ne semble
pas beaucoup le motiver. Comme il ne tient pas son pouvoir de l’élection, mais du choix d’une poignée de soldats mécontents et de la force des armes, il a proposé pour justifier son action la théorie de la coquille vide : « Le 22 mars passé nous aurions posé un acte qu’on n’aurait pas dû, si le Mali dit pays démocratique n’était pas devenu une démocratie de coquille vide ». L’argument a porté. Depuis 1991, l’Etat malien s’était effectivement moulé dans un cadre démocratique : pluralité des partis, élection des instances de pouvoir, Etat de droit, liberté d’expression …Mais ça ne suffit pas pour faire une démocratie. Si les partis politiques sont d’abord des machines à décrocher les bonnes places, si les positions de pouvoir servent à se remplir les poches et à placer ses proches, si les agents de l’Etat monnayent leurs prérogatives, si la liberté d’expression est abandonnée à une ORTM obstinément griotique et à des journalistes disposés à prêter leur signature au plus offrant, alors en effet la démocratie est une coquille vide. Cependant, le capitaine oublie une chose : même vide, la « coquille démocratique », ce n’est pas rien et mieux vaut la remplir que la briser. Dans la coquille du multipartisme institutionnel, imposer des hommes et des organisations dévoués à l’intérêt général. Dans la coquille des processus électoraux, inventer les procédures qui permettent la sincérité du vote. Dans la coquille de la liberté d’expression, créer des espaces d’expression critique libres du pouvoir et de l’argent. Dans la coquille de l’Etat de droit, imposer le droit, bannir la corruption.

Le capitaine a choisi de briser la coquille. Son pouvoir n’est plus le représentant du peuple mais celui des fusils. Le CNRDRE voudrait agir comme un parti unique. L’ORTM est placée sous la menace des armes. Les gens sont arrêtés en dehors de toute procédure juridique. Le pays tente aujourd’hui péniblement de recoller les morceaux de la coquille en miette. Il faut beaucoup de temps et beaucoup d’énergie pour ça. C’est le cœur même de la crise institutionnelle qui paralyse la direction de l’Etat. Du coup, ce temps et cette énergie ne sont pas consacrés à l’urgence absolue du moment : la reconstitution du Mali. Or chaque jour compte. Les Maliens du Nord du pays ont vu leur armée et leur Etat les abandonner. Plus le temps passe, plus les appels à l’unité nationale résonnent pour eux comme des mots creux. Ils constatent que les briseurs de coquilles ont la bravoure suffisante pour cracher sur leur ancien président quand il monte désarmé dans l’avion de son exil. Mais les illuminés d’Ançar Dine ou d’Aqmi, les gangs liés à la drogue ou les desperados de l’Etat ethnique du MNLA agissent à leur guise. Et les populations abandonnées, qui comme chacun veulent vivre, qui pratiquent l’Islam depuis des siècles, prêteront de guerre lasse une oreille chaque jour plus indulgente aux usurpateurs qui se drapent dans la prédication du prophète pour voler le peuple de tout pouvoir sur son destin.


Souvenons nous aussi que l’excuse de la coquille vide ou de la démocratie formelle n’est pas née avec Amadou Haya Sanogo. Elle a été un des piliers théoriques du stalinisme et a servi de prétexte à l’abolition des libertés publiques, puis à la pérennisation de dictatures cruelles et perverses. Comment cette expression et cet argument sont parvenus dans la bouche du soldat ? Par sa propre réflexion ? C’est possible. Mais on en retrouve beaucoup la saveur dans les diatribes de forces politiques minoritaires qui s’autoproclament « progressistes » et ne pouvaient compter sur l’élection pour accéder au pouvoir.


Je suis convaincu que le Mali koura a la puissance créative suffisante pour remplir la coquille. C’est sa tâche historique. Il lui faudra beaucoup de détermination, de courage, de clairvoyance pour affronter les forces de la régression : ceux qui veulent briser la coquille, ceux dont l’intérêt est de la laisser vide. Mais déjà on voit la jeunesse se mobiliser autour de l’urgence première : retisser des liens concrets de solidarité entre le Nord et le Sud du pays. C’est une première et bonne façon, pour la volonté du peuple, de remplir la coquille
.

MALI KOURA 7 – C’EST L'HEURE !

Le retour à l’ordre constitutionnel était une condition nécessaire pour que le Mali reprenne son souffle et pour mettre un coup d’arrêt à la désintégration. Il semble en cours. Tant mieux. Mais reconstruire sera plus difficile que détruire. Tout d’abord, il reste des inconnues. Les premières déclarations d’Amadou Sanogo après la signature de l’accord avec la CEDEAO sont ambiguës. Il s’y présente comme si, pour l’avenir, il avait autorité sur la conduite de l’armée. Il conditionne l’intervention militaire de la CDEAO : un appui logistique, mais pas de troupes au sol. Ce point de vue peut se défendre sur le fond, mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est aussi un moyen de prévenir une éventuelle action contre lui s’il comptait jouer à nouveau un rôle extra-constitutionnel. La vigilance ne sera pas inutile. Dioncounda Traoré est la bonne personne pour conduire la transition, parce président de l’Assemblée nationale et président du parti le plus répandu dans le pays, il en a la parfaite légitimité. Mais il ne jouissait pas, avant les événements, d’une popularité à toute épreuve et il apparaît, c’est inévitable, comme un des représentants d’une classe politique dont beaucoup se méfient. On dit que la fonction crée l’organe. L’Adéma et d’autres organisations politiques peuvent retrouver dans l’urgence nationale actuelle un nouvel élan patriotique. Souhaitons que la dimension de la tâche historique haussera les hommes au niveau requis. Mais il faut au minimum y veiller. Au Nord, les grandes manœuvres ont commencé. Les islamistes, qui ont chassé le MNLA de Tombouctou et Gao y font régner l’ordre et y réinstallent le drapeau du Mali. Dans le chaos et la peur provoquées par les exactions du début, la loi des barbus et la perspective de rester malien peuvent soulager. Ajouter quelques contraintes safafistes à une religion qu’on pratique déjà apparaîtra préférable au pillage de sa maison ou au viol de ses filles. Dans quelles conditions la foi du coeur, le goût de la liberté et la règle de la démocratie reprendront-ils le dessus ? Il faudra pour cela que les mots de la politique cessent de travestir la réalité et de maquiller le simple appétit de pouvoir, qu’on puisse y croire quand ils parlent de justice, d’amour de la patrie, de respect du bien public, d’égalité des citoyens, de protection de la vie spirituelle de chacun…


L’engagement des citoyens sera, dans cette période, d’une importance décisive. Lui seul, s’il prend la dimension qu’il faut, pourra contrer le retour aux aventures désespérées, le désir de sécession, l’abandon au fanatisme ou le cynisme politique. Il sera le moteur de la reconquête des cœurs et des territoires. Mali kura, c’est ton heure !



MALI KOURA 6 – LA QUESTION DUI DONNE LE VERTIGE
5 avril 2012


Il y a une question qu’on n’ose à peine poser tant elle donne le vertige : comment demander à des soldats togolais, nigérians, burkinabés, français de risquer leur vie pour le Mali quand ses propres ressortissants l’ont abandonné sans combattre ? Cette tragédie rend bien dérisoire les objurgations d’idéologues qui ont mis leur cervelle en pilotage automatique et qui se dédouanent de leur impuissance en rejetant la faute sur un hypothétique complot de l’étranger. Ce Mali vaincu d’avance, tantôt gémissant, tantôt fulminant, appliqué à donner de lui-même l’image d’une éternelle victime condamnée à l’éternelle perfusion, usant pour ça sans honte et à contre-emploi d’une phraséologie aux accents révolutionnaires, ce Mali du passé, pardonnez-moi, mais je ne l’aime pas.


J’ai vécu, ces dernières années, une tout autre histoire – ce que je nomme ici Mali koura, le Mali nouveau. J’ai vu surgir dans le paysage des hommes et des femmes, jeunes pour la plupart, créatifs, honnêtes, décomplexés qui se seraient étranglés de honte plutôt que de se faire passer pour des victimes. Le Mali a des faiblesses ? Des puissances étrangères sont intéressées à en profiter pour avancer leurs pions ? Mais bien sûr ! C’est même la nature des choses. Et bien, on ne va pas se plaindre de ce que sont ces puissances, parce que nous n’y pouvons rien. On va leur montrer qui nous sommes et ça nous y pouvons quelque chose.


J’ai vu ce Mali koura cesser de polariser ses rêves et ses rancœurs sur l’ancien colonisateur. La France ferme ses frontières et ne veut pas de nous ? On s’en passera. Le président français nous invite à entrer dans son histoire ? Qu’il pédale sans nous. Ça fait plaisir à ses électeurs d’entendre que leur civilisation est supérieure, que leur identité nationale est imperméable ? Tant mieux pour eux. 


Comment évoquer ce Mali koura sans parler de BlonBa, cette aventure culturelle unique à laquelle je suis associé depuis l’origine, sans saluer mon ami Alioune Ifra Ndiaye son directeur, King, Fatoumata, Chiaka, Ndji, Youssouf, Modibo, Drissa, Boutros, Alimata, Solo, Ramsès, Djibril, tous les autres… et aussi les plus anciens qui leur ont donné la main (ou l’inverse ?) : Bougouniéré, Michel, Adama, Kass, Dièman… J’ai vu des techniciens travailler douze heures par jour parce qu’ils croyaient à ce qu’ils faisaient et qu’ils y prenaient plaisir. J’ai vu des jeunes qui n’étaient pas allés à l’école se jeter avec voracité sur la connaissance. J’ai entendu dire à des bailleurs potentiels « Gardez votre argent », quand l’argent était proposé au prix de la liberté d’action. J’ai vu des artistes de théâtre perfectionner leur art avec modestie, scrupule, détermination pour donner à leur pays une voix de qualité. Depuis cette source de culture, j’ai vu la libre parole du Mali engager la conversation avec des dizaines de milliers de spectateurs sur les scènes de trois continents et des centaines de milliers de téléspectateurs dans le monde. Peu le croiront, mais tout ça s’est souvent fait sans subventions. Pas facile, mais quelle leçon !


Le Mali n’est pas prisonnier de la défaite qui l’accable. Mali koura, prend le pouvoir ! Vite !


Ce texte est le sixième épisode d’une chronique quotidienne que vous pouvez trouver sur mon facebook.


MALI KOURA 5 – Les pires choses ont une fin
4 avril 2012

Le Mali est sonné. Plus aucun message politique cohérent ne semble en sortir. ATT a déserté. Du côté des politiciens légitimés par les dernières élections, c’est le silence à peine troublé par quelques pétitions de principes au style emprunté et par les discrets signaux qui permettent de ne fermer aucune porte, au cas où. Les « forces progressistes » autoproclamées ont profané l’idée même de progrès, appelant « révolution populaire » une jacquerie de soldats du rang qui ne savaient pas le matin même qu’ils réclameraient le soir de monter sur le trône. Oumar Mariko, un homme dont les principaux titres de gloire sont d’avoir inauguré la grève perpétuelle de l’école malienne et recueilli 2 % des voix dernières aux élections présidentielles, se recommande des damnés de la terre pour revendiquer le poste de Premier ministre. Aminata Dramane Traoré et Cheick Oumar Sissoko, deux anciens ministres de la culture au bilan incertain se drapent dans une phraséologie altermondialiste pour justifier, avec le concours d’une télévision consternante de veulerie et de stupidité, l’effondrement en dix jours de la souveraineté du Mali, de son unité, des ses institutions, de ses libertés publiques et de son intelligence. Les mots n’ont plus de sens. Les pillages de la soldatesque sont faits au nom de la lutte contre la corruption. La débandade de l’armée est présentée comme une réponse à l’incompétence d’ATT. Les soldats fuient. Difficile de leur reprocher de vouloir sauver leur peau quand on n’est pas sur le front. Au moins le compétent CNRDRE pouvait-il tenter d’organiser une retraite en bon ordre. Mais aucun officier, aucun homme du rang n’a eu ni l’ordre ni l’idée de jeter une allumette dans les réservoirs de carburant de l’armée plutôt que de les laisser aux mains de l’ennemi. L’armement acquis avec l’argent du peuple a été abandonné aux vandales. Même au Nord, les discours nationalistes pourtant déjà bien pauvres du MNLA sont submergés par le brouillage d’islamistes étrangers et de gangs de trafiquants, qui lui ont chipé ses prises de guerre. Privé de tout débat politique audible, le peuple est déboussolé.

Il faut donc recommencer à faire de la politique. Non pas la chasse aux postes, comme hier, mais l’action collective désintéressée pour la reconstruction du pays. La lettre ouverte d’Alioune Ifra Ndiaye au capitaine Sanogo a fait forte impression pour des raisons toutes simples : elle parle vrai, elle met le peuple en face de responsabilité qu’il peut commencer à assumer sans délai, elle n’est pas viciée par des calculs de pouvoir ou d’argent. On ne sait pas, d’une heure sur l’autre, ce que sera la situation. Il est tout à fait possible, à tout moment, qu’un soldat patriote mette fin à l’équipée du capitaine Sanogo et rende effectif le fameux « retour à l’ordre constitutionnel ». Mais à défaut d’un contre-coup aléatoire ou d’une insurrection populaire qui ne se décrète pas, il y a sans délai des choses à faire.

Exemple : nous pensons tous aux habitants de Gao, de Tombouctou, Kidal, Bourem, Ansongo, aux centaines de milliers de réfugiés. Ils ont des raisons de croire que le Mali les a abandonné. Ce sentiment bien compréhensible est une arme aux mains des séparatistes, un danger mortel pour la reconstruction du pays. A Bamako, à Sikasso, à Ségou, à Paris, à Abidjan, il est urgent de leur prouver le contraire, d’organiser sans attendre, avec les ressortissants des régions occupées, une solidarité concrète et immédiate. Ce peut-être d’abord un paquet de sucre, un message, une réunion de solidarité… Mais très vite, inévitablement, la résistance se mettra en place. Même décapités, les groupes sonraïs d’autodéfense ont laissé des traces. Les partisans arabes de Tombouctou étaient prêts à apporter leur concours à l’armée pour défendre la ville. Ils ne se sont pas convertis du jour au lendemain aux occupants salafistes. Même les combattants touaregs qui, dégoutés de défendre seuls le drapeau du Mali, ont changé de camp peuvent comprendre, si le Mali se remet debout, qu’il est leur seule patrie viable. Les partisans qui demain défendront leur liberté au péril de leur vie doivent savoir dès aujourd’hui que le Mali tout entier les aime, les soutient, qu’ils en sont les héros. On peut avancer dans cette direction sans demander la permission ni au CNRDRE, ni à la France, ni à la CEDEAO, ni au camarade Mariko. Tout acte, petit ou grand, qui ira dans ce sens relèvera celle ou celui qui l’accomplira, le sortira de l’abattement, le remettra dans l’action et posera les fondements d’une vie politique effectivement contrôlée par le peuple.

MALI KOURA 4 – HORONYA
3 avril 2012

Pardon pour le coup de blues qui a obscurci ma chronique d’hier. J’ai vu se lever dans mon imagination la figure ténébreuse et maléfique des vices auxquels tout Malien soucieux d’agir pour le bien public s’affronte inévitablement : la nyangoya, la trahison, la rancœur, la paresse intellectuelle, le laisser-aller, l’indifférence au sort de la collectivité, le vol… Dans mon cauchemar, ces vices jusque là épars se mettaient en meute. Ils prenaient le pouvoir. Ils ravageaient le pays en dix jours. La résistance ne peut pas vaincre si elle ne prend pas la mesure du mal. Elle ne peut pas vaincre non plus si son dessein ne l’emporte pas sur le mal. Bon ! Il ne faut pas craindre le blues. Il faut aussi savoir en sortir.

Il y a quelques semaines, à Bamako, assis avec des amis à prendre le thé, nous nous posions cette question : comment traduire en bamanan le mot « citoyenneté » ? Perplexité du grin… Le simple fait que la réponse ne soit pas évidente dit beaucoup. Cette perplexité nous rappelle que chaque civilisation, chaque univers mental distribue différemment la façon dont se représente le réel, les comportements humains, les valeurs qui tiennent les humains debout. Citoyenneté est un mot français qui s’origine dans la Grèce antique, dans la république romaine, dans la révolution française, pas dans la geste du Mandé. De ce fait, le mot citoyenneté, vécu comme un corps étranger, court le danger d’être perçu comme un artifice de rhétorique, un moyen d’embrouiller les esprits au profit de politiciens sans autre principe que leur appétit.

Donc la question est celle-ci : quel terme bamanan transcrit le mieux la notion française de citoyenneté ? Je propose horonya. Il y a une forte ressemblance entre le sens de ce mot et la citoyenneté dans l’Athènes antique. Le horon comme le citoyen, c’est l’homme qui descend des familles originelles de la patrie (faso), celui qui a droit de cité, qui porte le carquois (tontigui), qui participe à l’assemblée, l’homme qui dispose de lui-même, l’homme libre au sens politique du mot liberté. Les vertus que l’imaginaire social attache aux horons/citoyens sont la noblesse, l’honneur, le courage, le respect de soi et de la parole donnée, la magnanimité, la libéralité. D’ailleurs, suivant le contexte, les traductions françaises de textes bamanans ou maninkas donne à la horonya tantôt le sens de « noblesse », tantôt celui de « liberté ». A Athènes comme à Ségou, les horons ne sont pas toute la société. Les esclaves, les métèques, les nyamakalas sont placés dans une relation de soumission ou d’allégeance.

Puis vient la république. République française, République du Mali. Tous les habitants du pays acquièrent le droit de cité, la liberté politique. Citoyens français. Horons de la République. Les vertus de la horonya, celles qui permettent à la société de se tenir debout librement – noblesse, honneur, courage, respect de soi et de la parole donnée magnanimité, libéralité – deviennent un horizon éthique et politique pour tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, bamanans ou sonrais, Keïta et Kouyaté… La jonya (soumission, servitude) est abolie, avec les humiliations qui s’y attachent, avec les vices que l’imaginaire social y attache : veulerie, mensonge, inconstance, paresse…

La République tient par la horonya, la horonya républicaine, une horonya à laquelle chaque Malienne, chaque Malien est convoqué dès la naissance, quel que soit son rang. Un horon de la République ne trahit pas son serment de respecter la République. Un horon de la République ne pille pas. Un horon de la République vomit l’idée d’un Etat ethnique. Un horon de la République ne fuit pas devant les ennemis de la République. Un horon de la République met la République au dessus de ses intérêts personnels. Sans la horonya républicaine, la République s’écroule. La République s’est écroulée. Toute résistance à l’effondrement actuel passe par le rétablissement de la horonya républicaine : « Me suis-je ou non comporté en horon de la République ? » Voilà, me semble-t-il, le grand enjeu culturel, éthique, politique de la période historique qui s’ouvre. La résistance au désastre en dépend.

MALI KOURA 3 – FAITES-MOI MENTIR ! ALA KAMA !
2 avril 2012

Il y a trois semaines, j’étais à Bamako. L’entêtement égoïste et grotesque d’Abdoulaye Wade me faisait craindre pour le Sénégal !
Si quelqu’un m’avait dit : dans trois semaines, Kidal, Gao, Tombouctou seront tombés aux mains de crypto-lybiens et de suppôts d’Al Qaïda sans que l’armée résiste,
si quelqu’un m’avait dit : le pouvoir est trop doux, on n’aura jamais la patience d’attendre les élections pour en goûter le miel,
si quelqu’un m’avait dit : les ordinateurs de la cité administrative, ses meubles, ses frigidaires, ses coffres-forts, ses dossiers, ses rideaux, ses cafetières, ses portes, ses fenêtres, ses ampoules électriques sont trop tentants pour que nous ne nous servions pas tout de suite
si quelqu’un m’avait dit : il se trouvera des gens pour appeler restauration de la démocratie la prise du pouvoir par vingt-six militaires et quinze civils,
j’aurais répondu : a tè kè
J’aurais répondu : tu es l’ambassadeur de Satan, le Mali fait mentir les prophéties de Satan.

Horonya bè min ? Horonya tununa
Dow ko : saya ka fsa malo yé.
U ma tinya fo. Tinya, sisan, Mali yan ? ko malo ka fsa saya yé.

Un jour, le général Moussa Traoré a dit aux hommes d’ici : vous êtes mes moutons, vous irez où je vous conduirai et si vous ne vous soumettez pas à mon bâton, je ferai descendre l’enfer sur vos têtes.
Alors les hommes ont courbé le dos et suivi le bâton.
Les femmes ont dit : Général, l’enfer n’est pas sous ton gouvernement, il est sous le gouvernement de Dieu.
Elles ont béni leur Dieu, le Tout puissant. Elles ont dit : nous ne sommes pas des moutons, nous sommes des Maliennes. Elles sont sorties, elles n’ont pas rencontré l’enfer, elles ont rencontré des soldats. Des Maliens.
Beaucoup sont mortes. M’buranmusow, n’nimogomusow, Ala k’aw dayoro suma !
Mon Dieu, toi qui as partagé ta liberté avec les humains et pas avec les moutons, accueille-les dans ton paradis !

Danbè bè min ? Danbè tununa
I ka na fo ko saya ka fsa malo yé ! I ka n’a fo tuguni !

Le code de la famille a dit : l’épouse et l’époux partagent ensemble la conduite de la famille.
Les marabouts sont sortis. Ils ont dit : le code a menti.
Derrière les marabouts, il y a des électeurs. Derrière les électeurs, il y a le pouvoir. Derrière le pouvoir, il y a l’argent.
Les hommes qui avaient voté le code ont obéi à la peur des marabouts.
Ils ont oublié l’honneur de tenir parole.
Moi je vous dis que les marabouts ont raison. Le code a menti. Le code devait dire : l’épouse conduit la famille et l’époux lui doit obéissance.
Si l’époux fuit quand les bandits menacent son épouse, si son épouse reste seule à défendre la famille, à qui reviendra la charge de préparer le plat ?

Fasonyumanya bè min ? Fasonyumanya tununa !
Jonya bè fan bèè

Mon Dieu, tu aimes la vérité et tu punis le mensonge. S’il te plait, punis-moi et je te bénirai. Si j’ai menti, si la noblesse, si l’honneur, si l’amour de la patrie existent encore, même un peu, même en germe, ton châtiment sera ma consolation et ta punition me rendra l’espérance.
M’buranmusow, m’burankew, n’nimogomusow, n’nimogokew, si vous ai blessés, hakè to ! Et si j’ai menti, tous ensemble bénissons Dieu !


MALI KOURA 2 – Méditations sur l’Histoire
1er avril 2012

ANNEE 1500 - Askia Mohammed, revenu de son pèlerinage à La Mecque, porte l’empire du Songhoy à son apogée. Des ethnies nombreuses y vivent en paix. La religion y est source d’harmonie et de connaissance. Des étudiants espagnols, marocains ou turcs fréquentent ses universités. Des terrassiers juifs aménagent les berges du fleuve. Plus peuplée et plus alphabétisée que Rome, Tombouctou rayonne dans tout l’Islam. CONCORDE ET GRANDEUR.

22 SEPTEMBRE 1960 - Dans l’enthousiasme, la République du Mali est proclamée par Modibo Keïta. Les décisions qui engagent la vie du pays se prendront désormais sur son sol. L’armée française plie bagage. La jeune armée malienne la remplace. Chacun l’espère : plus jamais dans l’histoire, le Mali ne sera contraint par la force ou par la nécessité de laisser combattre sur son sol des troupes étrangères. Le Mali croit dans sa capacité à assurer lui-même sa sécurité. SOUVERAINETE

19 NOVEMBRE 1968 - Un groupe d’officiers subalternes appuyé par la troupe prend le pouvoir et dépose Modibo Keïta, père de l’Indépendance. Le peuple est épuisé par des années de volontarisme politique et d’autoritarisme. Des manifestations immédiates et spontanées acclament les nouveaux maîtres du pays. Mais très vite, le développement se fige. La libre parole est persécutée. La corruption s’enracine. En mai 1977, quand Modibo Keïta meurt empoisonné, une foule immense suit ses obsèques. En mars 1991, la colère populaire explose, noyée dans le sang. Un groupe d’officiers, dont ATT, interrompt la tuerie en arrêtant le général Moussa Traoré. Une transition sous contrôle du peuple aboutit à des élections libres. DEMOCRATIE.

22 SEPTEMBRE 2011 - Fête de l’Indépendance. Le Président de la République inaugure le troisième pont de Bamako et le nouvel hôpital du Mali. Chaque année, l’hebdomadaire Jeune Afrique publie les indices de développement des 53 pays africain. En vingt ans, le Mali est passé des profondeurs du classement à la 25e place. D’ATT, on entend souvent dire alors qu’ « il a bien travaillé ». Ce n’est pas l’enthousiasme. La corruption et l’arrogance des corrompus, les dysfonctionnements de l’Etat et de la société lui sont aussi reprochés. L’armée et fragilisée. Les appétits de la classe politique fragilisent la démocratie. Mais les salaires de la fonction publique tombent à l’heure. La douane verse au Trésor les sommes fixées par le budget. L’électricité est régulièrement distribuée dans les villes qui en disposent… DEVELOPPEMENT.

22 MARS 2012 - Unité ? Grandeur ? Souveraineté ? Démocratie ? Développement ? Qu’est-ce qui a fait défaut ? Qu’est-ce qui manquait encore ? Quelle grande idée devra-t-elle être portée par le Mali koura pour réparer l’héritage et lui donner une nouvelle solidité ? A demain.

Mali koura 1 – Ala tè sunogo 
31 mars 2012

Pour commencer ce feuilleton de réflexion sur la crise malienne, voici la fin prémonitoire d’un spectacle donné en avant-première au BlonBa le mois dernier et qui a saisi le public présent. Son titre : Ala tè sunogo ! (Dieu ne dort pas). L’histoire raconte l’avalanche d’avanies qu’un opérateur culturel subit et qui mettent son entreprise en péril : corruption et incompétence des agents de l’Etat, mais aussi prégnance de la nyangoya (égoïsme, jalousie, petitesse) dans la société elle-même. Acculé à la faillite, découragé, l’entrepreneur exprime avec amertume son désespoir. Mais les autres personnages réagissent. L’opérateur culturel s’appelle Alifra, magistralement interprété par le rappeur et comédien Ramsès Damarifa. En écrivant ce texte, je me suis librement inspiré du personnage d’Alioune Ifra Ndiaye et de situations vécues par BlonBa. Il dit à la fois les raisons de la colère et les motifs d’espoir.

Un huissier vient d’annoncer la fermeture de la salle d’Alifra et de son entreprise.

BOUGOUNIERE
Moi, je ne suis pas d’accord. Alifra, s’ils te touchent, je bouge.

GOUNDO
Moi non plus, je ne suis pas d’accord.

BOUGOUNIERE
Personne n’est d’accord avec ça. Qui va accepter une chose pareille ?

GOUNDO
On est des Maliens, on n’est pas des animaux.

ALIFRA
Moi, je suis d’accord avec ça.

Au public

Pères de famille, mères de famille, écoutez-moi très bien. J’ai cent ans. Ce que toute une vie peut t’apprendre, je l’ai appris. Je l’ai compris. Je vais vous l’enseigner.

Tu veux la réussite de ton fils ? Apprends-lui la trahison, la cupidité, l’indifférence au destin de la patrie, la religion de l’argent.
  • Mon fils, tu es policier, vole ! Si tu ne voles pas, qui va te respecter dans ce pays-ci ?
  • Mon fils, tu es commerçant, corrompt ! Si tu ne corromps pas, qui va te donner des marchés dans ce pays-ci ?
  • Mon fils, je veux que tu sois heureux, tu es maçon, remplace le ciment par du sable. Le mur va tomber sur les habitants ? Et alors ! Est-ce que ça c’est ton problème ?
  • Mon fils, tu es marabout, mélange Dieu et Satan ! Si tu ne mélanges pas Dieu et Satan, tu te prives de la clientèle des vicieux, des soûlards, des avides, des méchants, des corrompus… Tu n’auras personne ! Si tu ne mélanges pas Dieu et Satan, tes prières, ton jeûne, ton pèlerinage, ton aumône, ton acte de foi, rien de tout ça ne t’apportera la paix.

Tu veux le bonheur de ta fille ? Tu le veux vraiment ? Alors écoute-moi très bien. Si ta fille rentre de l’école, si elle te dit : mon enseignant me donne l’examen, mais seulement si j’accepte qu’il se couche sur moi, dis-lui : vas-y ! Dis-lui : La vie c’est comme ça. Et si elle dit : non, je me respecte, je ne me vends pas pour un diplôme, je ne suis pas une putain. Gifle-la. Appelle l’enseignant. Enferme-les ensemble dans la chambre. A double tour. Ce jour-là, tu auras fait le bonheur de ta fille.

GOUNDO
Alifra, je n’ai pas cent ans. Je viens de naître. Notre Mali est un pays peuplé d’enfants. Le policier voleur, le maçon inconscient, le commerçant corrupteur, le marabout vicieux, l’enseignant violeur, nous les connaissons. Ils pèsent sur nous comme le couvercle sur la marmite. Mais la marmite, c’est nous. Ça va bouger Alifra, ça va bouger.

BOUGOUNIERE
Alifra, qui t’a dit que notre Mali, ce qui s’y passe, Dieu ne le voit pas ? Est-ce que ma fille t’a fait du mal ? Est-ce que mon wokoloni t’a fait du mal ? Moi-même, Bougouniéré, je suis une gueularde, c’est vrai, mais tu as vu que je suis contre toi ? Dieu ne dort pas, Alifra, Ala tè sonogo ! Nè, Bougouniéré, ni Goundo n’denmuso, ni Solo nè ka wokoloni, an Mali koura, an fana tè sonogo. Nous non plus ne dormons pas !


Une musique se lève. Les chœurs chantent « Ala tè sonogo ». Alifra prend un micro et chante. Solo danse cette danse. Un film projeté en fond de scène évoque la jeunesse qui se lève.



A partir d’aujourd’hui, sous le titre MALI KOURA, je publierai régulièrement sur mon facebook, les réflexions que m’inspire la crise malienne. Ce qui est fait est fait. L’eau versée ne se ramasse pas. Maintenant, où va-t-on ? Mon ambition n’est pas d’intervenir sur l’issue institutionnelle de la crise. Je n’en ai ni la légitimité, ni les moyens. Par contre, j’ai atterri pour la première fois à Bamako en 1972, à l’aéroport de Hamdallaye, aujourd’hui le quartier ACI 2000. Je me suis marié à Ségou. J’ai peu à peu appris à me débrouiller dans la langue bamanan. J’ai participé depuis l’origine, avec mon ami Alioune Ifra Ndiaye, à l’aventure culturelle et civique de BlonBa. En quarante ans de va et vient, ma vie s’est tissée avec le Mali, ses grandeurs, ses petitesses. Le coup d’Etat du 22 mars n’a été accompagné ni de grands mouvements d’enthousiasme, ni de manifestations indignées. Comme si chacun avait conscience qu’il pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponse, qu’il est le symptôme d’une crise morale et politique, plutôt que son remède. Effondrement ou crise de croissance ? J’ai vu, en accompagnant l’essor de BlonBa, l’ardeur patriotique et la créativité sans complexe de la jeune génération. Mes réflexions sont dédiées à ce nouveau Mali, ce Mali koura qui malgré la confusion d’aujourd’hui, rend raisonnable de rester optimiste







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire